Pathologie - Toxicologie
-
Toxicocinétique - Métabolisme [1]
Chez l’homme comme chez l’animal, l’absorption des fluorures est importante par voies digestive et inhalatoire. Il existe une fixation osseuse importante et l’excrétion est presque exclusivement rénale.
Chez l'animal
Constituants normaux de l’alimentation humaine, des fluorures sont ingérés quotidiennement. L’absorption par le tube digestif est importante et rapide.
La voie d’entrée principale en milieu professionnel est pulmonaire. Alors que l’absorption des fluorures gazeux est rapide, celle des poussières varie selon la granulométrie.
Chez les personnes non exposées de façon habituelle, la moitié des fluorures est fixée au niveau des os.
L’excrétion est presque exclusivement rénale et représente 50 % de la dose absorbée en 24 heures par le sujet exposé.
Les fluorures agissent en inhibant de nombreux systèmes enzymatiques, notamment les phosphatases alcalines et des estérases.
Surveillance Biologique de l'exposition
Le dosage des fluorures urinaires en fin de poste reflète le niveau d'exposition du poste qui a précédé, tandis que le prélèvement fait avant le poste de travail en début de semaine (au mieux après 2 jours sans exposition) est le témoin de la charge corporelle et de l'exposition ancienne aux fluorures alcalins. Une bonne corrélation existe entre la concentration des fluorures urinaires et la quantité de fluorures absorbés.
Le dosage des fluorures sanguins en fin de poste, bien corrélés à l’intensité de l’exposition, est également proposé mais ne présente pas d’avantage par rapport aux dosages urinaires, sauf en cas d’altération de la fonction rénale.
Pour les fluorures urinaires, il existe des valeurs biologiques d’interprétation pour la population professionnellement exposée ; par contre il n’en existe pas pour les fluorures sanguins (voir Recommandations § Au point de vue médical).
-
Mode d'actions
Les fluorures agissent notamment en précipitant le calcium (à l'origine d'hypocalcémie) ou en inhibant de nombreux systèmes enzymatiques, comme les phosphatases alcalines et des estérases [1].
-
Toxicité expérimentale
Toxicité expérimentale
Les effets aigüs observés chez l’animal avec les fluorures alcalins sont comparables à ceux qui ont été constatés chez l’homme.
A la suite d’expositions orales répétées au fluorure de sodium (NaF), des effets cardiovasculaires, thyroïdiens et neurologiques sont observés chez les rongeurs ; les effets respiratoires, gastro-intestinaux et osseux sont comparables à ceux constatés chez l’homme.
De nombreux tests ont été réalisés in vitro et in vivo pour étudier le potentiel génotoxique du fluorure de sodium. Les résultats sont si variables qu’ils rendent leur interprétation difficile. Très peu de données sont disponibles concernant les autres fluorures.
Concernant les effets cancérogènes, seul le fluorure de sodium a été testé et aucun potentiel cancérogène n’a été mis en évidence.
Chez les rongeurs et les lapins exposés par voie orale au fluorure de sodium, sont observées des atteintes des organes reproducteurs mâles et femelles plus ou moins sévères, associées dans certains cas (rats) à une diminution de la fertilité. Dans la descendance de souris traitées par gavage avec du fluorure de sodium, des lésions testiculaires apparaissent bien qu'aucune toxicité maternelle n'ait pu être observée, suite à une exposition péri- et post-natale.
Chez les rats exposés par voie orale au fluorure de sodium, une augmentation de l’incidence des variations ou des malformations squelettiques ou viscérales a été rapportée seulement en présence de toxicité maternelle; d'autres études chez le rat et le lapin avec le fluorure de sodium ne retrouve pas d'anomalie du développement.
Toxicité aiguë [7]
Les DL50 par voie orale et les CL50 chez le rat sont :
- pour le fluorure de sodium, DL50 = 52 mg/kg,
- pour le fluorure de lithium, DL50 = 143 mg/kg
- pour le fluorure de potassium, DL50 = 245 mg/kg et CL50 = 1000 mg/m3,
- pour le fluorure de calcium, DL50 = 4250 mg/kg et CL50 > 5070 mg/m3.
La symptomatologie mise en évidence lors des études de toxicité aiguë ou des tests d’irritation, est identique à celle constatée chez l’homme : elle ne sera donc pas développée dans ce paragraphe.
Aucun potentiel sensibilisant cutané n’est observé avec le fluorure de calcium dans un essai de stimulation des ganglions lymphatiques ou avec le fluorure de sodium dans un test de Buehler [2].
Toxicité subchronique, chronique [1]
A la suite d’expositions répétées au fluorure de sodium par voie orale, les effets osseux, respiratoires et gastro-intestinaux, observés chez l’animal sont similaires à ceux constatés chez l’homme : ils ne seront donc pas développés dans ce paragraphe.
Par voie orale, des souris mâles et femelles exposées à 67-71 mg F/kg pc/j sous forme de NaF (pendant 6 mois, dans l’eau de boisson) présentent des effets cardiovasculaires tels qu’une minéralisation ou une dégénérescence du myocarde[24]. Chez le lapin (doses et durée non précisées), des modifications de l’électrocardiogramme ont été détectées [1].
Des effets endocriniens à type d'hypothyroïdisme, caractérisés par une diminution des taux sériques de thyroxine (T4), sont observés chez des rats exposés à 0,5 mg F/kg pc/j sous forme de NaF (pendant 2 mois, dans l’eau de boisson) (Bobek 1976 cité dans[1]). Chez des souris mâles exposées à 50 mg/kg pc/j de NaF, pendant 30 jours, les taux sériques de triiodothyronine (T3), de T4 et de la globuline liant la thyroxine (TGB) diminuent significativement ; au niveau histopathologique, les follicules thyroïdiens présentent des altérations structurelles [25].
Des effets neurologiques sont observés chez des rats femelles exposés par gavage à 9 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, pendant 60 jours : ils se caractérisent par une diminution de l’activité motrice spontanée et de l’activité chlolinestérasique sanguine[26]. Des signes d’incoordination, de dépression (augmentation des temps d’immobilisme) et de perturbation de la mémoire sont aussi rapportés chez la souris femelle (100 et 200 ppm par jour, dans l’eau de boisson, pendant 30 jours)[27]. Par contre, aucun effet sur le comportement n’a été observé dans une autre étude chez des rats femelles, recevant jusqu’à 11,5 mg F/kg pc/j sous forme de NaF (pendant 7 mois, dans l’eau de boisson) (Whitford 2003 cité dans [1]).
Une étude récente in vitro a mis en évidence l’influence du fluorure de sodium sur des lignées de macrophages murins et donc sur le fonctionnement du système immunitaire (diminution de la production de cytokines anti inflammatoires, augmentation de la production de cytokines pro inflammatoires) [28].
Effets génotoxiques [1]
In vitro
Fluorure de sodium [1]
Les tests d’Ames réalisés sur S. typhimurium avec ou sans activation métabolique, les essais d’échanges de chromatides sœurs (sur cellules ovariennes de hamster chinois ou cellules de moelle osseuse de rats, sans activation métabolique) ou les tests d’aberrations chromosomiques (sur cellules ovariennes de hamster chinois, avec et sans activation métabolique) donnent des résultats négatifs.
Par contre, des résultats positifs ont été obtenus dans les tests suivants :
- aberrations chromosomiques sur des cellules ovariennes de hamsters syrien et chinois, ou des cellules de moelle osseuse de rats, en présence d’activation métabolique ;
- échanges de chromatides sœurs, sur des cellules ovariennes de hamsters chinois (avec et sans activation métabolique) et de hamsters syriens (sans activation métabolique) ;
- mutations géniques sur cellules de lymphome de souris (avec ou sans activation métabolique).
Fluorure de calcium [1, 2]
Les tests d’Ames réalisés sur S. typhimurium et E. coli, un test de mutation génique sur cellules de mammifères et un test d’aberrations chromosomiques sur cellules de moelle osseuse de rat, avec ou sans activation métabolique, donnent des résultats négatifs avec le fluorure de calcium [2].
In vivo
Une augmentation du nombre d’aberrations chromosomiques a été mise en évidence dans les cellules de moelle osseuse de souris, exposées à une dose unique de 40 mg F/kg pc sous forme de fluorure de sodium (NaF), par voies orale, intra-péritonéale ou sous cutanée. De même, des micronoyaux ont été observés dans les cellules de moelle osseuse de souris, ayant reçu 40 mg F/kg pc sous forme de NaF par injection intra-péritonéale.
Dans une étude récente, des souris ont été exposées à 4-12 ou 20 mg/L de fluorure de sodium dans l’eau de boisson, pendant 30 jours. Une augmentation de la fréquence des micronoyaux dans les érythrocytes et des aberrations chromosomiques dans les cellules de moelle osseuse ont été observées pour toutes les doses [29].Par contre, des effets négatifs ont été rapportés dans les tests suivants :
- micronoyaux sur cellules de moelle osseuse de rat (gavage, dose unique de 454 mg F/kg pc sous forme de NaF)[30];
- anomalies de la tête des spermatozoïdes chez des souris (intubation, 32 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, pendant 5 jours) (Li et al 1987 cité dans[1]) ;
- aberrations chromosomiques sur des cellules de moelle osseuse et de testicules de souris (eau de boisson, 100 ppm de NaF pendant 6 semaines) [31] ;
- échange de chromatides sœurs dans des cellules de moelle osseuse de hamster (gavage, dose unique de 59 mg F/kg pc sous forme de NaF)[32].
Effets cancérogènes [24]
Seuls les effets cancérogènes du fluorure de sodium ont été étudiés ; aucune donnée n’est disponible pour les autres fluorures.
Dans une étude du NTP, des rats ont été exposés à 0,2 - 0,8 - 2,5 et 4,1 mg F/kg pc/j pour les mâles et à 0,2 - 0,8 -2,7 et 4,5 mg F/kg pc/j pour les femelles sous forme de NaF, dans l’eau de boisson, pendant 2 ans. Chez les mâles, quelques ostéosarcomes ont été détectés mais avec une incidence non significative ; aucune tumeur n’est rapportée chez les femelles.
Fertilité
De nombreuses études ont examiné les effets sur la reproduction du fluorure de sodium.
Chez les mâles, des dommages testiculaires sont directement liés à la durée de l’exposition :
- vacuolisation de l’épithélium germinal des tubes séminifères, diminution de sa superficie voire atrophie complète chez des rats exposés à 10 ou 20 mg F/kg pc/j sous forme de NaF dans l’eau de boisson pendant 16 semaines alors qu’aucune altération histopathologique des testicules n’a été rapportée après seulement 6 semaines d’exposition [33];
- diminution du diamètre des tubes séminifères chez les rats exposés à 2,3 ou 4,5 mg F/kg pc/j sous forme de NaF dans la nourriture pendant 60 jours. Cet effet est associé à un épaississement membranaire et à une diminution du nombre de tubes contenant des spermatozoïdes chez les rats exposés à la plus forte dose (Araibi 1989 cité dans [1]) ;
- diminution des taux de testostérone sérique et testiculaire, du nombre de spermatozoïdes, augmentation des spermatozoïdes anormaux et modifications histopathologiques des testicules (anomalies morphologiques des cellules spermatogéniques et de leur arrangement, diminution du nombre de spermatozoïdes dans la lumière) (souris, 0 - 2,1 - 4,2 ou 8,3 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, eau de boisson, 11 semaines)[34] ;
- atteintes des spermatides chez des lapins, exposés par gavage à 4,5 mg F/kg pc/j sous forme de NaF pendant 18 mois, et après 23 mois d’exposition, altération structurelle de l’épididyme affectant la maturation des spermatozoïdes [35] ;
- diminution du nombre de spermatozoïdes, de leur motilité et de leur viabilité chez des rats exposés par gavage à 2,3 mg F/kg pc/j sous forme de NaF pendant 30 jours ; la baisse de l'efficacité des accouplements entre les mâles exposés à cette dose et des femelles non exposées provoque une diminution de la fertilité (Chinoy 1992 cité dans[1]) ;
- diminution du taux sérique de testostérone et du diamètre des cellules de Leydig chez des rats mâles exposés par gavage à 4,5 mg F/kg pc/j sous forme de NaF pendant 50 jours [36].
Le gavage de souris gestantes à 0,25 et 0,5 mg NaF/j (soit 0,11 et 0,22 mg F/j/animal sous forme de NaF) durant la gestation jusqu'au sevrage et de leur descendance aux mêmes doses jusqu'à l'âge adulte, provoque, en l'absence de toxicité maternelle, des altérations histopathologiques des testicules (malformations des vacuoles des cellules séminales, nécrose des cellules séminales), une désorganisation de l’épithélium des tubes séminifères et une absence de spermatogenèse chez les descendants mâles [37].
Chez les femelles, les données sont moins nombreuses. Une étude ancienne montre une diminution de la lactation chez des rats femelles exposés à 21 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, dans l’eau de boisson pendant 88 jours (Yuan 1994 cité dans [1]).
A la suite d’une exposition à 2,65 - 4 ou 5,2 mg F/kg pc/j, sous forme de NaF, dans l’eau de boisson, pendant 6 mois, le pourcentage de rates gestantes diminue de manière dose-dépendante ; des altérations histopathologiques sont aussi observées au niveau de l’endomètre (élargissement des cellules et hypertrophie glandulaire) et des follicules ovariens (diminution du nombre de follicules de petite taille) [38]. Dans une étude complémentaire, une diminution des taux sériques d’œstrogène et de progestérone est mise en évidence, ainsi que des anomalies dans les niveaux d’expression de certains récepteurs hormonaux (rats femelles, 2,65 ou 5,2 mg F/kg pc/j, sous forme de NaF, dans l’eau de boisson, pendant 12 semaines[39].
Une étude récente montre l'effet potentiellement délétère du fluorure de sodium sur la qualité des ovocytes aux 2 plus fortes doses testées, avec des conséquences au niveau de la fécondation et du développement de l’embryon (souris, 0 - 2,8 – 6,3 ou 14,2 mg F/kg pc/j, sous forme de NaF, dans l’eau de boisson, pendant 30 jours) [40].
Développement [1]
Plusieurs études ont été réalisées avec le fluorure de sodium.
Aucune modification du nombre de nouveau-nés vivants, du sexe ratio, du poids moyen fœtal, ou de l’incidence de malformations n’a été mise en évidence chez des rats et des lapins, exposés via l’eau de boisson à 13 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, du 6ème au 15ème jour de gestation pour les rats ou du 6ème au 19ème jour de gestation pour les lapins [41]. De même aucune modification n’a été observée chez la descendance de rats exposés via l’eau de boisson à 12,2 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, 10 semaines avant accouplement et pendant la gestation[42]. Une augmentation de l’incidence de variations et de malformations squelettiques (côtes surnuméraires ou ossification incomplète du crâne) ou viscérales (hémorragies sous-cutanées) a été observée chez les fœtus de rates exposées à 18 mg F/kg pc/j sous forme de NaF dans l’eau de boisson, du 6ème au 19ème jour gestation, seulement en présence de toxicité maternelle[43].
Aucun effet sur les os longs n’est mis en évidence dans la descendance de rats, exposés via l’eau de boisson à 21 mg F/kg pc/j sous forme de NaF, 10 semaines avant l’accouplement, pendant la gestation et la lactation : selon les auteurs, malgré un passage transplacentaire avéré des ions fluorures, les quantités ne sont pas suffisantes pour affecter le développement des os lors de l'examen de nouveau-nés âgés de 3 semaines [44].
Concernant le fluorure de calcium, très peu d’informations sont disponibles. Des souris gestantes ont été exposées à une dose unique de CaF2 de 1600, 3200 ou 6400 mg/kg pc, par injection intra-péritonéale, 9 jours après l’accouplement. Pour toutes les doses, une embryotoxicité s’est traduite par une augmentation du nombre de résorptions liées à la dose (avec une toxicité maternelle importante aux 2 plus fortes doses).
-
Toxicité sur l’Homme
La toxicité des composés solubles (NaF et KF) est plus importante que celles des composés peu ou pas solubles (CaF2). L’intoxication aiguë par ingestion se traduit notamment par des symptômes digestifs, musculaires, neurologiques et cardiovasculaires. Les fluorures sont des irritants oculaires, muqueux et cutanés. L’intoxication chronique se caractérise principalement par une atteinte osseuse appelée fluorose, liée à une surcharge en ion fluorure. Les tests de génotoxicité menés in vitro et in vivo (principalement avec le NaF) retrouvent des résultats variables. Les données disponibles pour évaluer d'éventuels effets cancérogènes des fluorures alcalins ou alcalino-terreux ne permettent pas de conclure. Des troubles de la fertilité (principalement masculine) et du développement (malformations, petit poids de naissance, baisse du quotient intellectuel,…) ont été décrits lors d’exposition à divers fluorures par ingestion d’eau fluorée ; mais ces données sont insuffisantes pour évaluer d’éventuels effets toxiques des fluorures alcalins ou alcalino-terreux pour la reproduction chez l’Homme.
Toxicité aiguë
De nombreux cas d’intoxication aiguë aux fluorures alcalins solubles (en particulier au fluorure de sodium) ont été décrits chez l’adulte ou chez l’enfant dans le cadre d’ingestions volontaire ou accidentelle[45, 46].
Par ingestion, l’intoxication aiguë se caractérise d’abord par des signes gastro-intestinaux (nausées, vomissements, hématémèse, diarrhées, douleurs abdominales,…), puis des signes neurologiques (spasmes des extrémités, paresthésies, parésies, convulsions,…) et cardiovasculaires (fibrillation ventriculaire, collapsus, cyanose,…) pouvant conduire au décès. Les atteintes musculaires et cardiovasculaires seraient en lien avec les troubles hydro-éléctrolytiques (hypocalcémie, hyperkaliémie) secondaires à l’intoxication [47]. Chez l’adulte, l’ingestion de 5 à 10 g de fluorure de sodium peut conduire au décès [46].
Les fluorures provoquent des irritations cutanées d’apparition parfois retardée.
Ils peuvent également être à l’origine de lésions oculaires sévères [46, 48, 49].
L’inhalation de poussières ou d’aérosols à base de fluorures (composés non précisés) entraine une irritation du tractus respiratoire (épistaxis, gêne respiratoire, toux,...). Des irritations du tractus respiratoire ont été rapportées le plus souvent à partir de 5 mg/m3 [48]. Un œdème pulmonaire est possible en cas d’exposition à de fortes concentrations.
La toxicité aiguë du fluorure de calcium (peu soluble) est faible[46].
Toxicité chronique
L’exposition répétée aux fluorures peut entraîner une atteinte osseuse (liée à une surcharge en ion fluorure) appelée fluorose. La fluorose professionnelle a été décrite initialement chez des travailleurs de la cryolite (AlNa3F6), puis a été observée quasi exclusivement dans l’électrométallurgie de l’aluminium et le traitement du phosphate de roche ; elle a aujourd’hui disparu dans les pays développés[50]. La fluorose peut aussi survenir suite à une consommation d’eau trop riche en fluorures (> 2 mg/L). La fluorose se manifeste par une condensation anormale de l’os prédominant au niveau du squelette axial (hyperminéralisation avec zones hypodenses, possibles exostoses et calcifications ligamentaires,…), qui peut être associée tardivement à des douleurs. Dans certaines formes évoluées, des diminutions de l’amplitude des mouvements (voire une ankylose) et des fractures peuvent survenir [45, 46].
Dans l’industrie de d’aluminium (électrolyse), plusieurs auteurs rapportent une association entre l’exposition répétée aux fluorures (composé non précisé) et des symptômes respiratoires à type de dyspnée, d’anomalies fonctionnelles respiratoires, d’atteintes bronchiques, d’asthme (« potroom asthma ») [3, 51, 52]. La responsabilité de divers irritants utilisés dans ce secteur d’activité (dont les fluorures), ainsi que celle de l’aluminium ou de ses sels est suspectée.
Des troubles gastro-intestinaux (nausées, vomissements, …) ont été décrits chez des travailleurs de la cryolite lors d’expositions répétées. Cette symptomatologie a été attribuée à la déglutition de poussières de fluorures inhalées[1, 46].
Le contact répété avec des fluorures peut entraîner des dermatites irritatives[46].
Il n’a pas été retrouvé de cas documenté de sensibilisation (cutanée ou respiratoire) aux fluorures alcalins ou alcalino-terreux[46].
Effets génotoxiques
Chez l’Homme, plusieurs études ont été menées pour évaluer le potentiel génotoxique des fluorures alcalins, en particulier du fluorure de sodium. Ces études (in vitro et in vivo) présentent des résultats variables.
In vitro
Des résultats positifs ont été obtenus dans les tests suivants :
- aberrations chromosomiques avec le NaF dans des lymphocytes humains (Albanese, 1987 cité dans [1], [53]), dans des fibroblastes humains (Tsutsui, 1984 cité dans [1], [54]) et dans des cellules diploïdes humaines (IMR-90) (Oguro, 1995 cité dans[1]).
- mutations géniques (avec et sans activation métabolique) avec le NaF dans des lymphoblastes humains (Casapary, 1988 cité dans [1]).
- synthèse non programmée d’ADN (sans activation métabolique) avec le NaF dans des fibroblastes humains (Tsutsui, 1984 cité dans [1]).
- test des comètes avec le NaF dans des lymphocytes humains [53].
- tests des comètes et du micronoyau, avec le NaF, dans des lymphocytes humains, mais résultats non significatifs pour les concentrations testées (0 – 0,1 – 0,5 – 1 – 5 – 10 µg/mL) [55].
Des résultats négatifs ont été obtenus dans les tests suivants :
- aberrations chromosomiques dans des lymphocytes humains avec le NaF et le KF (Thomson, 1995 cité dans[1]), et dans des fibroblastes humains avec le NaF (Tsutsui, 1995 cité dans[1]).
- échanges de chromatides sœurs dans des lymphocytes humains avec le NaF et le KF (Thomson, 1985 cité dans [1]).
- test des comètes dans des fibroblastes humains avec le NaF [56].
In vivo
Van Asten et al. n’observent pas de différence significative dans les tests d’aberrations chromosomiques, des micronoyaux et l’analyse de la progression du cycle cellulaire, réalisés dans les lymphocytes périphériques de sept femmes ne recevant pas de traitement à base de fluor (groupe contrôle) comparés à ceux de sept femmes atteintes d'ostéoporose et recevant un traitement à base de fluor pendant une période de 15 à 49 mois (monofluorophosphate disodique et fluorure de sodium, apport en fluor entre 22,6 et 33,9 mg F / jour, concentrations sériques de fluor entre 0,1 mg F /L et 0,2 mg F /L) [57].
En 1995, Li et al. réalisent des tests d’échanges de chromatides sœurs (ECS) dans les lymphocytes sanguins de six populations chinoises vivant dans des zones où le taux de fluorure dans l’eau diffère (< 0,3 mg/L ; autour de 1 mg/L ; > 4 mg/L). La fréquence la plus basse d’ECS est observée dans la population vivant dans une zone où l’eau présente un taux élevé en fluorures (4,75 mg/L) ; et la fréquence la plus élevée d’ECS est observée dans la population vivant dans une zone où l’eau présente un faible taux en fluorures (0,11 et 0,23 mg/L). Ce résultat n’est pas expliqué par les auteurs[58].
Des hypothèses mécanistiques ont été avancées pour expliquer la génotoxicité potentielle des fluorures : stress oxydant, perturbation mitochondriale, perturbation du cycle cellulaire [59].
Effets cancérogènes
La plupart des études retrouvées concernent l’exposition de la population générale par ingestion via l’alimentation et/ou l’eau de boisson. Différents fluorures (naturellement présents dans l’eau ou ajoutés artificiellement lors de la fluoration de l'eau) peuvent être concernés : le fluorure de sodium (NaF), l'acide fluorosilicique (H2SiF6), le fluorosilicate de sodium (Na2SiF6), la fluorine (CaF2), le fluorure d’étain (SnF2), le monofluorophosphate de sodium (Na2P03F).
Ces études s’intéressent à tous les cancers et/ou à certains cancers comme l’ostéosarcome, le cancer du rein, de la vessie, de l’utérus, du colon. La plupart des résultats étaient négatifs. Certaines études ont rapporté des résultats positifs, mais des biais méthodologiques, notamment la non prise en compte des facteurs de confusion en limitent l’interprétation [1, 60].
En 1982 puis en 1987, le CIRC a évalué la cancérogénicité des fluorures inorganiques utilisés dans l'eau de boisson et les préparations dentaires. Les données analysées ont été jugées insuffisantes pour retenir une association entre l'ingestion de ces fluorures inorganiques et la mortalité par cancer chez l'homme (groupe 3)[61].En milieu professionnel, les principales études s’intéressent à la cancérogénicité potentielle d’une exposition professionnelle à la cryolite AlNa3F6 (qui n’entre pas dans le cadre de cette fiche toxicologique sur les fluorures alcalins ou alcalino-terreux du fait de la présence d’aluminium). Grandjean et al. ont étudié la mortalité et la morbidité par cancer chez les travailleurs (près de 430) d'une usine de traitement de la cryolite (AlNa3F6) de Copenhague [50, 62, 63, 64]. Un excès significatif de la mortalité et de la morbidité (pour tous les cancers confondus, et pour les cancers du poumon et de la vessie pris individuellement) a été décrit chez ces travailleurs en comparaison avec la moyenne danoise ; et de façon moins prononcée, en comparaison avec la moyenne de Copenhague. Le rôle des fluorures (composés non précisés) a été suggéré par les auteurs dans l’apparition de ces cancers tandis que l’influence du tabagisme et de co-expositions (goudron de houille,...) a été discutée. D’autres études ont rapporté une augmentation (parfois significative) du nombre de cancers du poumon chez des travailleurs de l’aluminium ou de la fluorine (CaF2) exposés notamment aux fluorures ; mais elles présentent des limites méthodologiques (absence de prise en compte du tabagisme, co-expositions aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, au radon,…) [65, 66].
Effets sur la reproduction
La plupart des études retrouvées concernent l’exposition de la population générale par ingestion via l’alimentation et/ou l’eau de boisson. Différents fluorures (naturellement présents dans l’eau ou ajoutés artificiellement lors de la fluoration de l'eau) peuvent être concernés : le fluorure de sodium (NaF), l'acide fluorosilicique (H2SiF6), le fluorosilicate de sodium (Na2SiF6), la fluorine (CaF2), le fluorure d’étain (SnF2), le monofluorophosphate de sodium (Na2P03F).
Il n’a pas été retrouvé d’études portant sur les effets sur la reproduction chez des sujets professionnellement exposés aux fluorures alcalins ou alcalino-terreux spécifiquement.
- Fertilité
Une perturbation du taux de certaines hormones de la reproduction (en particulier une diminution de la testostérone sérique) a été rapportée chez des hommes exposés aux fluorures via l’eau de boisson et/ou présentant une fluorose. Cependant ces études présentent des limites et les mécanismes possiblement impliqués restent méconnus [67, 68].
En 2003, Ortiz-Pérez et al. étudient plusieurs aspects de la fonction reproductrice chez 160 hommes âgés de 20 à 50 ans et exposés aux fluorures (composés non précisés) : soit fortement (n=133) (exposition via l’eau de boisson et exposition professionnelle dans la production d’acide fluorhydrique ou d’aluminium depuis au moins 1 an) avec une exposition aux fluorures estimée entre 3 et 27 mg/j ; soit faiblement (n=67) (exposition via l’eau de boisson uniquement) avec une exposition aux fluorures estimée entre 2 et 13 mg/j. Les auteurs rapportent une augmentation significative des taux sanguins de FSH, ainsi qu’une diminution significative des taux sanguins d’inhibine B, de testostérone libre, et de prolactine dans le groupe fortement exposé en comparaison avec le groupe faiblement exposé. Aucune anomalie du sperme (concentration, motilité, morphologie, viabilité) n’est retrouvée dans les deux groupes [67].
Dans une étude rétrospective menée aux Etats-Unis entre 1970 et 1988 sur une population de 1 513 023 femmes, une association négative est observée entre le taux de fécondité total (ou «total fertility rate ») (des femmes âgées de 10 à 49 ans) et la concentration en fluorures dans l’eau de boisson municipale. L’indice de fertilité utilisé dans cette étude est un indice rarement utilisé ce qui rend d’autant plus délicate l’interprétation de ces résultats[69].
En 1994, Chinoy et al. étudient les effets du fluorure de sodium (NaF) sur des spermatozoïdes humains à différentes doses (25, 50, 250 mM). Pour une dose de 250 mM, ils constatent une altération de l’activité enzymatique lysosomale, une modification des taux de glutathion et des anomalies morphologiques [70].
- Développement
Une association positive entre la consommation d’eau fluorée et l’incidence de la trisomie 21 ou de malformations congénitales comme le spina bifida, a été décrite par certains auteurs [71, 72], mais ces résultats ont été discutés et n’ont pas été retrouvés par d’autres auteurs [73].
En 2004, pour l’Organisation Mondiale de la Santé, il n'y a pas de relation apparente entre les taux de syndrome de Down (trisomie 21) ou de malformations congénitales, et la consommation d'eau potable fluorée[74].
Plusieurs études se sont intéressées aux effets d’une exposition aux fluorures sur le développement neurologique des enfants. En 2012, une méta-analyse (portant sur 27 études incluant en tout près de 8500 enfants) retrouve des scores de QI significativement plus faibles chez les enfants vivants dans des zones à haute teneur en fluorures (n = 4737), par rapport aux enfants vivants dans des zones à faible teneur en fluorures (n = 3736) [75]. En 2017, Valdez Jimenez et al. retrouvent une association inverse entre le score d’un test de développement (échelle de Bayley) chez des enfants de 3 à 15 mois et les niveaux de fluorures dans les urines de leur mère lors du premier et deuxième trimestres de grossesse[76].
En 1997, dans un essai contrôlé randomisé, Leverret et al. étudient la relation entre une supplémentation en fluorures (1 mg/j) pendant les 6 derniers mois de la grossesse et la fluorose dentaire évaluée chez des enfants à l’âge de 5 ans. Sur 798 enfants, 26 cas de fluorose dentaire très modérée sont rapportés (RR=1,10 avec un IC à 95 % de 0,38 à 3,23 chez les garçons ; et RR=3,59 avec un IC à 95 % de 1,01 à 12,8 chez les filles) [77].
-
Interférences métaboliques
-
Cohérence des réponses biologiques chez l'homme et l'animal