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Disulfure de carbone

Fiche toxicologique n° 12

Sommaire de la fiche

Édition : Mise à jour 2013

Pathologie - Toxicologie

  • Toxicocinétique - Métabolisme [11, 12, 21]

    Le disulfure de carbone est absorbé chez l’homme et chez l’animal par voies inhalatoire et cutanée ; son élimination peut se faire sous forme inchangée par voies pulmonaire et urinaire. Les métabolites éliminés par voie urinaire sont des dérivés soufrés.

    Chez l'animal

    L'absorption du disulfure de carbone peut s'effectuer par toutes les voies (pulmonaire, cutanée, gastro-intestinale). L'affinité du produit pour les tissus est due à sa grande liposolubilité et à sa capacité de fixation aux acides ami­nés et aux protéines. Après absorption pulmonaire, il est retrouvé dans les muqueuses nasales, les tissus riches en lipides, le sang et les organes fortement irrigués.

    L'équilibre sanguin est atteint chez le chien, le lapin et le rat après 30 à 90 minutes d'exposition à des concentra­tions de 20 à 400 ppm.

    Le disulfure de carbone est présent dans le foie, les muscles, la rate, le sang, les poumons, le cerveau, le cœur et les reins, sous deux formes :

    - libre, dissous dans les fluides biologiques (demi-vie sanguine 55 min), il disparaît rapidement des organes et atteint des valeurs très basses 10-16 heures après la fin de l'exposition ;

    - lié de façon réversible aux acides aminés pour former des dithiocarbamates (demi-vie sanguine 43 heures).

    Environ 70 à 90 % du disulfure de carbone absorbé sont métabolisés, le reste est éliminé inchangé dans l'air expiré.

    Deux transformations métaboliques ont été proposées chez l'animal (fig. 1) : la liaison spontanée avec les acides aminés ou les protéines et l'oxydation par le système des mono-oxygénases hépatiques.

    Le disulfure de carbone et ses métabolites sont excrétés :

    - par voie pulmonaire, sous forme inchangée (13-23 % chez le chien et la souris) et sous forme de dioxyde de car­bone (5 % chez le rat) ;

    - par voie urinaire, sous forme inchangée (moins de 1 %), sous forme de sulfates inorganiques (30 % chez le cobaye) et de composés soufrés organiques, dont l'acide 2-thio- thiazolidine-4-carboxylique (TTCA), la 2-thiothiazolidin- 5-one et le thiocarbamide.

    Schéma métabolique

    Le métabolisme est analogue à celui de l'animal avec prédominance des réactions de conjugaison ; trois méta­bolites urinaires ont été identifiés : thiocarbamide, 2-thio- thiazolin-5-one et TTCA.

    Surveillance Biologique de l'exposition

    Le dosage urinaire de l'acide 2-thiothiazolidine-4-carboxylique (TTCA) en fin de poste est utile pour la surveillance biologique de l'exposition.

    Le dosage urinaire du disulfure de carbone, prélèvement réalisé immédiatement en fin de poste de travail est éga­lement proposé ; ce paramètre est sensible et spécifique, bien corrélé à l'exposition.

    Des valeurs-guides ont été établies pour le TTCA urinaire (voir Recommandations § Au point de vue médical).

  • Mode d'actions [13, 14]

    Le mécanisme biochimique de la neuropathie induite par le disulfure de carbone n'est pas totalement élucidé ; plu­sieurs modes d'action ont été proposés :

    • les métabolites (dithiocarbamates essentiellement) sont des chélateurs, notamment du cuivre et du zinc; les chélates peu dissociables perturberaient le métabolisme cellulaire, entraînant une oxydation des graisses, la mort cellulaire et des lésions tissulaires ;
    • la baisse du cuivre et du zinc dans les tissus induit, de plus, une inhibition de l'activité des enzymes pour les­quelles ils sont nécessaires (monoamine-oxydase, dopamine-ß-hydroxylase, phosphatase alcaline), ayant pour résultat une modification de la glycolyse, du métabolisme des acides aminés, de la respiration et de la phosphory­lation oxydative des cellules cérébrales ;
    • la perturbation du métabolisme de la vitamine B6 et de l'acide nicotinique entraînerait une inhibition des enzymes pour lesquelles ces substances jouent le rôle de coenzymes ;
    • de plus, le disulfure de carbone réduit l'activité de la lipoprotéine-lipase et l'activité lipolytique des parois arté­rielles, et stimule la synthèse hépatique du cholestérol. Ces altérations du métabolisme des graisses explique­raient son pouvoir athérogène ;
    • le soufre réactif libéré au cours de la désulfuration oxy­dative pourrait se lier aux composants cellulaires du foie et induire des modifications toxiques dans le foie. Ceci pourrait expliquer la dégénérescence hydropique centro- lobulaire et la carence en cytochrome P 450 induisant une inhibition du système mono-oxygénasique microsomique et ainsi la perturbation du métabolisme d'autres compo­sés endogènes ou exogènes.
  • Toxicité expérimentale
    Toxicité expérimentale

    L’exposition au disulfure de carbone entraîne des symptômes essentiellement neurologiques et des effets dermatologiques.

    Toxicité aiguë [10-12]

    La DL50 par voie orale chez le rat, la souris, le lapin ou le cobaye est comprise entre 2100 et 3200 mg/kg.

    La CL50 par inhalation est de 8000 ppm chez le rat et de 3200 ppm chez la souris, pour une exposition de 2 heures.

    L'inhalation est responsable :

    • d'effets neurologiques (excitation puis narcose, ataxie, tremblements et convulsions); rénaux (diminution du volume urinaire et augmentation de l'excrétion pro­téique); hépatiques (dégénérescence hydropique autour des veines centrolobulaires) ; hématologiques (augmen­tation du fibrinogène et du temps de fibrinolyse); une hémosidérose de la rate est aussi observée ;
    • d'une modification du métabolisme protéique céré­bral : augmentation du taux de dopamine et baisse du taux de noradrénaline suggérant une inhibition de la dopamine-ß-hydroxylase, augmentation de la protéolyse.

    L'application locale chez le lapin entraîne une irritation cutanée ; des vésicules apparaissent dans les trois jours. Ces vésicules épidermiques et sous-épidermiques évo­luent en ulcérations. À l'examen histologique, des modi­fications dégénératives sont observées localement au niveau des glandes sébacées et des nerfs.

    Toxicité subchronique, chronique [11, 13]

    Par inhalation, le disulfure de carbone provoque principa­lement des atteintes au niveau du système nerveux. Des effets cardiovasculaires, hépatiques et rénales sont égale­ment observés.

    Les études subchroniques et chroniques réalisées par inhalation chez le chien (400 ppm, 15 sem), le chat (2 500 ppm, 13 sem) et le rat (400 à 800 ppm, 6 à 60 sem) montrent que les effets toxiques s'exercent essentielle­ment au niveau du système nerveux central et périphé­rique (excitation précoce suivie d'un état léthargique associé à des tremblements, une ataxie pendant les pre­mières semaines de l'exposition, une faiblesse musculaire et une paralysie des membres postérieurs).

    Une exposition à 160 ppm (5 h/j, 6 j/sem, 2 mois) induit chez le rat une modification du métabolisme lipidique, objectivée par une augmentation du taux de lipides totaux, de cholestérol libre et estérifié, et des β-lipoprotéines sériques; les modifications métaboliques lipi­diques dans les tissus aortiques contribuent au développement de lésions athéromateuses de la paroi des vaisseaux.

    Les examens complémentaires, notamment histolo­giques, révèlent des atteintes :

    • neurologiques, centrales et périphériques: diminution de la vitesse maximale de conduction motrice dans le nerf sciatique du rat et du lapin, dégénérescence des neurones du cortex cérébral, axonopathie neurofilamenteuse péri­phérique et modification de la jonction neuromusculaire par perte de vésicules synaptiques ;
    • cardiovasculaires: augmentation du poids du cœur, épaississement du ventricule droit sans altération histolo­gique du myocarde chez le rat ou le lapin, rétrécissement des artérioles cérébrales accompagné d'une prolifération de capillaires et de cellules endothéliales et d'un épaissis­sement des parois aortiques. Le disulfure de carbone potentialise l'athérogénèse induite par le cholestérol chez le rat et le lapin ;
    • hépatiques : chez le lapin, des vacuoles cytoplasmiques sont induites dans les hépatocytes après inhalation de 200 ppm pendant 2 mois, et une dégénérescence du foie après une injection intrapéritonéale quotidienne de 6 mg pendant 60 jours ; chez le rat, des lésions analogues sont observées (12 mg/kg) ; par inhalation (426 ppm, 3 mois), aucune hépatotoxicité n'est induite;
    • rénales: chez le lapin, néphrite chronique interstitielle avec lésions glomérulaires secondaires à l'inflammation et à la fibrose; chez le rat, on observe uniquement des lésions glomérulaires (épaississement des membranes basales avec rétrécissement des lumières vasculaires).
    Effets génotoxiques [12, 14, 15]

    Le disulfure de carbone n’est pas génotoxique dans les essais réalisés in vitro et in vivo.

    Le disulfure de carbone n'est pas mutagène pour les bac­téries dans les conditions du test d'Ames, en absence ou en présence d'activateurs métaboliques de foie de rat ou de hamster.

    In vitro, dans les lymphocytes humains cultivés en pré­sence d'activateur métabolique, on note une augmenta­tion, sans relation dose-effet, du nombre d'aberrations chromosomiques et d'échanges entre chromatides-sœurs.

    In vivo, par inhalation à faible dose (20-40 ppm), le disul­fure de carbone n'induit ni effet létal récessif chez la dro­sophile, ni anomalie chromosomique dans la moelle osseuse de rat ou effet létal dominant chez le rat. À des doses plus élevées (jusqu'à 650 ppm), il n'induit pas d'ef­fet létal récessif chez la drosophile; au-delà, une toxicité importante apparaît.

    Effets cancérogènes [16]

    Peu de données sont actuellement disponibles sur un éventuel effet cancérogène du disulfure de carbone. Une seule étude (300 ppm, 6 h/j, 5 j/sem, 6 mois), effectuée sur un modèle in vivo chez la souris A/J basé sur l'appari­tion d'adénomes pulmonaires, a montré une augmenta­tion de ce type de tumeurs.

    Effets sur la reproduction [12, 17-20]

    Des risques de stérilité (oligospermie) et une diminution des accouplements sont observés chez le rat à la dose de 600 ppm. Les effets embryotoxiques et tératogènes obs­ervés sont variables selon les études réalisées.

    Fertilité

    Chez le rat mâle exposé par inhalation à 600 ppm (5 h/j, 5 j/sem, 10 sem), le disulfure de carbone provoque une diminution du nombre d'accouplements, une oligosper­mie et une baisse du taux de testostérone plasmatique sans modification du taux d'hormones hypophysaires ni lésion testiculaire. En revanche, des injections intrapérito­néales (25 mg/kg/j, 2 mois) provoquent au niveau testi­culaire une dégénérescence et une atrophie de l'épithélium séminifère et du tissu interstitiel, accompa­gnées d'hémorragies et d'œdème dans le parenchyme. Il existe une relation directe entre la dose administrée et l'intensité de la lésion.

    Développement

    Les effets embryotoxiques et tératogènes du disulfure de carbone ont été étudiés principalement chez le rat, par inhalation. Les résultats sont variables selon l'étude :

    • aucune manifestation embryotoxique ou tératogène n'a été observée chez des rates exposées à 20 ou 40 ppm, du 1er ou du 6ième jour jusqu'au 18ième jour de la gestation ;
    • une augmentation de la létalité pré- et post-implanta- toire, ainsi qu'un taux important d'hydrocéphalies et de pieds-bots apparaissent après une exposition à 32 ou 64 ppm pendant toute la durée de la gestation. À des doses plus faibles (0,16 ppm), seuls des retards dans le dévelop­pement du système de métabolisation hépatique, des déficiences du système nerveux central (temps de som­meil augmenté en présence d'hexobarbital) et des modifi­cations de l'activité motrice sont observés; ces déficits fonctionnels diminuent durant le développement postna­tal et tendent à disparaître à la fin du premier mois ;
    • aucun effet toxique ou tératogène n'est observé après une exposition à 100 ou 200 ppm, 6 h/j, du 6ième au 20ième jour de la gestation ; à des concentrations entraînant une toxi­cité maternelle, on observe une fœtotoxicité, notamment un retard d'ossification des sternèbres à 800 ppm. En ce qui concerne l'effet tératogène, aucune malformation n'a été montrée, en dehors d'une tendance à l'augmentation du taux de pieds-bots par rapport aux témoins.
  • Toxicité sur l’Homme [22-27]

    L’intoxication par le disulfure de carbone se produit essen­tiellement par voie respiratoire, mais également par voie cutanée. Des signes neurologiques majeurs peuvent surve­nir en cas d’exposition aiguë ou chronique (séquelles neurologiques) ainsi que des troubles cardio-vasculaire et une irritation sévère de la peau et des yeux. Des troubles de la fertilité et de la reproduction sont également suspectés.

    Toxicité aiguë

    L'inhalation de fortes concentrations provoque en premier lieu une atteinte du système nerveux central, associant céphalées, tremblements, vertiges, hallucinations, troubles comportementaux (excitation...), mouvements désordon­nés et troubles de la marche. Il s'y associe fréquemment des troubles digestifs (nausées, vomissements).

    En cas d'intoxication grave par inhalation ou par inges­tion, survient une narcose, un coma souvent convulsif pouvant évoluer vers une défaillance respiratoire par paralysie des muscles respiratoires, voire vers le décès.

    Chez les survivants existent de façon assez habituelle des séquelles neurologiques et une intolérance temporaire à l'alcool (syndrome antabuse).

    De tous les solvants organiques, le disulfure de carbone est l'un des irritants les plus puissants pour la peau. Il entraîne des brûlures pouvant aller de l'érythème (1er degré), si le contact est bref, au 2ième ou 3ième degrés. Les pro­jections oculaires peuvent provoquer des lésions sévères.

    Toxicité chronique

    Systèmes nerveux [22, 23]

    L'exposition prolongée à de faibles concentrations (5 à 10 ppm) peut provoquer des troubles neurocomporte­mentaux: fatigue, irritabilité, céphalées, problèmes de concentration, troubles de la mémoire, du sommeil et de la libido, vertiges, perte de poids, diminution de la force musculaire, tendance dépressive, voire schizophrénie ou psychose maniaco-dépressive. Avant même l'apparition de ces troubles, on peut mettre en évidence des anoma­lies de l'électroencéphalogramme ainsi que des perturba­tions de certains tests psychométriques.

    Sont décrites également des neuropathies périphériques infra-cliniques (diminution de la vitesse de conduction des fibres motrices) ou avec manifestation clinique (dimi­nution, voire abolition des réflexes distaux, tremble­ments, hypo- ou anesthésie).

    Organes des sens

    Œil: l'exposition prolongée provoque une rétinopathie bilatérale ayant une grande similitude avec les lésions de la rétinopathie diabétique (microanévrismes, petites hémorragies arrondies et exsudats). Ces lésions se situent en général autour de l'aire maculaire et le long des gros vaisseaux.

    Des études épidémiologiques ont retrouvé des pertur­bations de la vision des couleurs, des phénomènes dégénératifs au niveau rétinien, d'origine vasculaire ou inflammatoire, des troubles de l'accommodation, des anomalies de la motricité oculaire et une atrophie du nerf optique (la cécité étant rare). On a également observé des anomalies de l'épithélium pigmentaire et des altérations de l'électro-oculogramme.

    Oreille: certains sujets se sont plaints d'hypoacousie.

    Appareil cardio-vasculaire [24, 25]

    L'exposition provoque des anomalies tensionnelles (hypo- et hypertension), qui pourraient être dues à une dérégula­tion du système nerveux végétatif.

    Au niveau cardiaque, de nombreuses études ont mis en évidence une augmentation de la fréquence des maladies ischémiques. Le rôle du disulfure de carbone dans les mécanismes physiopathologiques pourrait être de plu­sieurs ordres : accélération du processus d'athérosclérose, effet toxique direct (réversible), altération du métabo­lisme des cathécholamines, action thrombotique directe avec tendance à l'hypercoagulation.

    Appareil respiratoire [23]

    L'apparition de maladies respiratoires aiguës et d'une sen­sibilité accrue au virus de la grippe ont été décrites chez les sujets exposés au disulfure de carbone.

    Appareil digestif [26]

    L'exposition chronique peut entraîner des troubles digestifs (nausées, vomissements, gastrite chronique, dyspepsie, anorexie), ainsi qu'une atteinte hépatique qui se traduit en particulier par une hépatomégalie et une augmentation des Ɣ-GT qui pourraient être en relation avec la consommation d'alcool. Certaines anomalies biolo­giques suggèrent l'existence d'une atteinte pancréatique.

    Appareil génito-urinaire [23 à 27]

    Chez la femme : on retrouve dans une étude où l'exposi­tion était évaluée à 10 mg/m3 des troubles menstruels (aménorrhée, irrégularité du cycle), en rapport avec un désordre hormonal, mais pas d'augmentation du nombre d'avortements spontanés, de naissances prématurées ou de malformations congénitales. Ces effets pourraient cependant survenir pour des expositions à de plus fortes concentrations.

    Chez l'homme : l'exposition entraîne une diminution de la libido, des troubles de la spermatogenèse et une augmen­tation des taux de FSH et LH.

    Autres atteintes

    Buccales : on observe une augmentation de la fréquence des parodontopathies et une détérioration de la muqueuse buccale.

    Glandes endocrines : des cas d'insuffisance surrénalienne et thyroïdienne ont été décrits.

    Effets cancérogènes

    Les résultats des études sont divergents : une enquête de mortalité a montré une augmentation de la fréquence des tumeurs du système nerveux, tandis qu'une autre ne montre aucune augmentation de cancer chez des per­sonnes exposées au disulfure de carbone.

  • Interférences métaboliques
  • Cohérence des réponses biologiques chez l'homme et l'animal
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