Pathologie - Toxicologie
Les cyanures alcalins se décomposent en milieu acide, même faiblement, avec formation de cyanure d'hydrogène (voir fiche toxicologique n° 4).
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Toxicocinétique - Métabolisme
Les cyanures alcalins sont décomposés en cyanure d’hydrogène en milieu acide (estomac). L’ion cyanure est un poison cellulaire qui bloque la respiration cellulaire. Il peut être détoxifié par plusieurs voies, et notamment par une enzyme qui produit des thiocyanates, essentiellement éliminés par les urines. Le cyanure est principalement retrouvé dans le foie, le sang, les poumons et le cerveau.
Chez l'animal
Absorption
Par voie orale, l’absorption des ions cyanures est rapide et presque complète. Chez des rats recevant par gavage 1 mg/kg de cyanure de potassium, le pic sanguin d’ions cyanures apparaît après 2 minutes [15]. Aucune donnée n’est disponible par inhalation ou par voie cutanée, mais les études de toxicité aiguë, disponibles chez le lapin, mettent en évidence un passage percutané.
Distribution
A la suite d’une exposition unique de rat par voie orale à 7 ou 21 mg/kg de CN- sous forme de cyanure de sodium, les concentrations les plus importantes en cyanures ont été mesurées dans le foie, le sang, les poumons, la rate et le cerveau[16].
Métabolisme
Les cyanures de potassium et de sodium sont majoritairement métabolisés dans le foie, en thiocyanates de potassium et de sodium [17, 18]. Dans des conditions physiologiques normales, plusieurs systèmes enzymatiques permettent une détoxication rapide ; le plus important étant représenté par le Rhodanèse de Lang* qui aboutit à la formation de thiocyanates, substances beaucoup moins toxiques (environ 80 % des cyanures sont métabolisés par cette voie). En dehors de ces processus enzymatiques, d’autres voies d’élimination existent : formation de cyanocobalamine et de cyano-méthémoglobine, élimination respiratoire sous forme de cyanure d’hydrogène, de dioxyde carbone. Face à une absorption en grandes quantités de cyanures, tous ces mécanismes de détoxication sont débordés.
* Rhodanèse de Lang : enzyme mitochondriale (transférase) catalysant la réaction de détoxication du cyanure.
Excrétion
Après absorption par voie orale, l’excrétion urinaire est la principale voie d’élimination, sous forme de thiocyanates. A la suite d’une inhalation, 85-90 % sont éliminés sous forme de CO2 dans l’air exhalé.
L’analyse de la radioactivité dans les urines de rats montre que 94,7 % du KCN radioactif absorbé sont éliminés dans les urines recueillies pendant 14 jours [7].
Chez l'Homme
Même si aucune donnée quantitative n’est disponible quant à l’absorption des cyanures de potassium et de sodium, il est admis que ces sels sont facilement et complètement absorbés après une exposition par voie respiratoire. L’absorption cutanée dépend de l’état de la peau et de la présence ou non d’humidité (sudation) [18]. Par voie orale, l’absorption du KCN et du NaCN résulte à la fois d’une absorption intestinale des ions cyanures mais également de l’absorption de l'acide cyanhydrique généré dans l’estomac (en milieu acide) [1].
Le cyanure passe dans le sang avant d’être distribué rapidement vers les tissus où il va se fixer sur des macromolécules contenant des métaux (telles que l’hydroxycobalamine, la méthémoglobine, les cytochrome-oxydases…) [1]. Il est principalement retrouvé dans le foie, les poumons, le sang et le cerveau [11].
Chez l’homme, les cyanures de potassium et de sodium sont majoritairement métabolisés dans le foie, en thiocyanates de potassium et de sodium [17, 18].
Dans des conditions physiologiques normales, les mêmes systèmes enzymatiques que chez l'animal permettent une détoxication rapide. Face à une absorption en grandes quantités de cyanures, tous les mécanismes de détoxication sont débordés.
Après absorption par voie orale, l’excrétion urinaire est la principale voie d’élimination, sous forme de thiocyanates. A la suite d’une inhalation, 85-90 % sont éliminés sous forme de CO2 dans l’air exhalé.
Surveillance Biologique de l'exposition
Le dosage des cyanures sanguins immédiatement en fin d’exposition est essentiellement utilisé pour confirmer le diagnostic d’intoxication aiguë aux cyanures.
Le dosage des thiocyanates urinaires en fin de poste de travail (ou fin de poste et fin de semaine) semble utile pour la surveillance biologique de l'exposition professionnelle.
Le dosage des thiocyanates plasmatiques a également été proposé comme indicateur biologique d’exposition.
Ces trois indicateurs ne sont pas spécifiques (influence du tabac et de l’alimentation), ils peuvent être présents dans le sang et les urines des sujets non professionnellement exposés.
Il n’existe pas de valeur biologique d’interprétation (VBI) pour la population professionnellement exposée pour ces indicateurs. Des VBI issues de la population générale sont disponibles pour les thiocyanates urinaires.
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Mode d'actions [18]
L’ion cyanure est un poison cellulaire : il bloque la chaîne respiratoire mitochondriale en se fixant à certains ions métalliques, en particulier à l’ion ferrique de la cytochrome-oxydase mitochondriale, bloquant ainsi la respiration cellulaire. Les tissus les plus riches en cytochrome-oxydase (système nerveux central, cœur) sont les plus sensibles et les plus rapidement touchés. Les manifestations cliniques observées sont la conséquence d’un effet anoxiant aigu. Les cyanures forment des complexes réversibles avec d’autres ions métalliques tel que le fer, inhibant ainsi de nombreuses autres métallo-enzymes.
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Toxicité expérimentale
Toxicité aiguë [6]
La toxicité aiguë par voie orale des ions cyanures est importante, le cyanure de potassium étant plus toxique que le cyanure de sodium. Par voie cutanée chez le lapin, spasmes, difficultés respiratoires et faiblesse sont observés avant la mort. Après instillation dans le sac conjonctival de l’œil de lapin, des signes d’irritation apparaissent ainsi que des effets systémiques importants, conduisant à la mort rapide des animaux.
Par voie orale, les DL50 chez le rat varient de 5 à 56 mg/kg pc pour le cyanure de sodium et de 7 à 11,3 mg/kg pc pour le cyanure de potassium [11]. Avant de mourir, les animaux exposés au cyanure de potassium présentaient une hyperhémie, une mastication excessive, une absence de réactivité, une respiration haletante et une augmentation du volume urinaire. Avec le cyanure de sodium, hyper salivation et léthargie sont observées.
Par voie cutanée chez le lapin, les DL50 suivantes ont été déterminées pour le cyanure de sodium : sur peau intacte, 200 mg/kg pc (poudre sèche), 11,8 mg/kg pc (poudre humide) et 14,6 mg/kg pc (en solution, sans plus de précision) ; sur la peau abimée, 7,35 mg/kg pc (poudre sèche) et 11,3 mg/kg pc (en solution, sans plus de précision). Concernant le cyanure de potassium en solution aqueuse, des DL50 de 22,3 et 14,3 mg/kg pc ont été déterminées, respectivement pour de la peau intacte et de la peau abimée. Avant de mourir, les animaux présentaient des difficultés pour respirer, des spasmes occasionnels, une faiblesse et des mouvements saccadés.
Aucune donnée de toxicité aiguë par inhalation n’est disponible pour ces sels.
Le cyanure de sodium provoque une irritation oculaire chez le lapin qui se manifeste par un larmoiement, une inflammation, un gonflement de la conjonctive et une opacification de la cornée. Après l’instillation dans le sac conjonctival, les effets systémiques apparaissent (respiration rapide, ataxie, convulsions, coma) et conduisent à la mort des animaux en 4 à 12 minutes [4].
Compte tenu de la toxicité aiguë de ces substances par voie cutanée, aucun test d’irritation cutanée n’a été réalisé. Aucune donnée concernant la sensibilisation n’est disponible.
Toxicité subchronique, chronique [20]
A la suite d’expositions répétées par voie orale au cyanure de potassium, des effets neurologiques, thyroïdiens (rats) et des effets rénaux et hépatiques (lapins) sont rapportés. Aucune étude n’est disponible par inhalation ou par voie cutanée avec les cyanures de potassium et de sodium.
Des rats mâles et femelles ont été exposés à 0-3-10-30-100 et 300 ppm de cyanure de sodium dans l’eau de boisson (correspondant à 0-0,16-0,48-1,4-4,5 ou 12,5 mg CN-/kg pc/j pour les mâles ; 0-0,16-0,53-1,7-4,9 ou 12,5 mg CN-/kg pc/j pour les femelles, pendant 13 semaines). Seule une augmentation du poids du foie des femelles a été observée à la plus forte dose testée.
Dans le cas du cyanure de potassium, des rats mâles ont été gavés avec 0 – 0,06 – 0,12 ou 0,24 mg CN-/kg pc/j sous forme de KCN, pendant 12 semaines. Aucun signe clinique de toxicité n’a été observé. Par contre, des effets sur le système nerveux central ont été rapportés chez les animaux exposés à la plus forte dose : perte de neurones dans l’hippocampe, dommages au niveau des cellules de Purkinje (non détaillés), perte de myéline dans le cervelet et augmentation liée à la dose du nombre de corps sphéroïdes présent dans la myéline de la moelle épinière. Quelle que soit la dose testée, les taux sériques des hormones thyroïdiennes (triiodothyronine -T3 et thyroxine - T4) et du glucose sont restés inchangés [21].
Des rats mâles ont été exposés à 44 mg CN-/kg pc/j sous forme de KCN, dans la nourriture, pendant 11 mois. Après seulement 4 mois de traitement, le taux plasmatique et son niveau de sécrétion diminuent respectivement de 53 et 68 % ; après 11 mois, on observe toujours une diminution de la sécrétion de T4, associée à une augmentation du poids de la thyroïde. Aucune lésion histopathologique n’est observée au niveau des nerfs sciatique et optique ou de la thyroïde. Par contre, une légère dégénérescence de la myéline de la moelle épinière est rapportée [1].
Des lapins mâles ont reçu pendant 10 mois, 36,5 mg CN-/kg pc/j sous forme de KCN dans la nourriture. Une diminution du poids et de la consommation de nourriture a été observée. Après 10 mois, les taux sériques d’alanine aminotransférase (ALT), de phosphatases alcalines (ALP), de lactate déshydrogénase (LDH) et sorbitol déshydrogénase ont augmenté, signes de dommages rénaux et hépatiques. Une analyse histopathologique du foie et des reins a mis en évidence des foyers de nécrose hépatique ainsi qu’une congestion et une nécrose des tubules et glomérules rénaux [22].
Aucune étude n’est disponible par inhalation ou par voie cutanée avec les ions cyanures de sodium et de potassium.
Effets génotoxiques
Les cyanures de potassium et de sodium ne sont pas mutagènes.
In vitro
Concernant le cyanure de sodium, des résultats négatifs ont été obtenus dans un test d’Ames, réalisé sur S. typhimurium, avec et sans activation métabolique [20].
Concernant le cyanure de potassium, des résultats négatifs ont été obtenus dans un test d’Ames réalisé sur S. typhimurium et dans un test de mutation génique sur cellules de hamsters chinois, avec et sans activation métabolique [23, 24].
In vivo
Un test d’aberrations chromosomiques, réalisé sur des cellules de moelle osseuse de souris exposées à 2,2 mg CN-/kg pc sous forme de KCN (injection intra-péritonéale), a donné des résultats négatifs [6].
Effets cancérogènes
Aucune donnée n’est disponible chez l’animal à la date de publication de cette fiche toxicologique (2018).
Effets sur la reproduction
Le système reproducteur mâle (rat, souris) est la principale cible du cyanure de sodium, les femelles étant atteintes de moindre manière ; aucun effet n’est rapporté avec le cyanure de potassium. Des malformations au niveau du foie et du cerveau sont observées chez les fœtus de rats exposés au cyanure de potassium, en présence de toxicité maternelle ; certains résultats suggèrent aussi un possible retard dans le développement du cervelet. Aucune étude sur le développement n’est disponible avec le cyanure de sodium.
Fertilité
- Cyanure de sodium [20] :
- Des rats mâles et femelles ont été exposés à 0-3-10-30-100 et 300 ppm de cyanure de sodium dans l’eau de boisson pendant 13 semaines (correspondant à 0-0,16-0,48-1,4-4,5 ou 12,5 mg CN-/kg pc/j pour les mâles ; 0-0,16-0,53-1,7-4,9 ou 12,5 mg CN-/kg pc/j pour les femelles). Tous les rats mâles exposés ont présenté une diminution du poids de la queue de l’épididyme et de la motilité des spermatozoïdes. A la plus forte dose testée, le nombre de spermatides par testicule a aussi été diminué par rapport aux témoins. Chez les femelles, une perturbation du cycle œstral a été observée, caractérisée par un allongement de la durée du dioestrus et du prooestrus.
- Chez des souris, exposées dans les mêmes conditions (0-0,5-1,8-5,1-16,2 ou 45,9 mg CN-/kg pc/j pour les mâles ; 0-0,6-2,1-6,2-19,1 ou 54,3 mg CN-/kg pc/j pour les femelles, pendant 13 semaines), la diminution du poids de la queue de l’épididyme n’a été observée qu’à la plus forte dose et aucun effet n’a été rapporté chez les femelles.
- Cyanure de potassium [25] :
- Des rates gestantes ont été exposées du 6e au 20e jour de gestation à 0 – 0,4 – 1,2 ou 12 mg CN-/kg pc/j sous forme de KCN dans l’eau de boisson. Aucune modification du nombre de corps jaunes, d’implantations et de pertes pré ou post-implantatoires n’a été rapportée.
Développement
Des rates gestantes ont été exposées du 6e au 20e jour de gestation à 0 – 0,4 – 1,2 ou 12 mg CN-/kg pc/j sous forme de KCN dans l’eau de boisson. Le poids et la taille des fœtus, et le nombre de fœtus vivant n’ont pas été modifiés et aucune malformation squelettique n’a été observée. Une augmentation de l’incidence de malformations viscérales (foie, cerveau) est rapportée dans les portées exposées à 12 mg CN-/kg pc/j, mais en présence lésions similaires chez les mères [25].
Dans une autre étude, des rates gestantes ont été exposées à 0 ou 8 mg CN-/kg pc/j sous forme de KCN, dans la nourriture, durant toute la gestation et jusqu’au 50e jour post natal ; le cervelet a été principalement étudié. Chez les nouveau-nés sacrifiés au 50e jour, la distance entre les 2 hémisphères du cervelet est significativement diminuée, de même que la taille et le poids du cervelet au 28e jour. A partir de ces observations, les auteurs suggèrent un retard dans le développement du cervelet [26].
A ce jour, aucune donnée n’est disponible concernant le cyanure de sodium.
- Cyanure de sodium [20] :
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Toxicité sur l’Homme
Les intoxications aiguës avec les cyanures de sodium et de potassium peuvent provoquer des symptômes variables selon la dose, quelle que soit la voie d'exposition ; des formes rapidement mortelles sont possibles, de même que des formes plus légères avec des troubles neurologiques (vertiges, confusion). L'exposition répétée aux cyanures de sodium et de potassium peut entrainer des signes non spécifiques neurosensoriels ou digestifs. Les effets génotoxiques, cancérogènes et sur la reproduction ne sont pas documentés.
Toxicité aiguë [3, 10, 17, 27-31]
Par inhalation, une intoxication aigüe cyanhydrique (notamment aux cyanures de sodium et de potassium) peut entrainer de nombreuses manifestations non spécifiques à type de céphalées, sensation vertigineuse, agitation, confusion, gêne respiratoire. En cas d’intoxication sévère, une dyspnée, un coma profond, parfois accompagné de convulsions, des troubles hémodynamiques (tachycardie, HTA, puis bradycardie, hypotension) et une acidose métabolique de type lactique peuvent apparaitre. Le décès peut survenir en quelques minutes.
La guérison peut être complète si le traitement est précoce et adapté. Les séquelles d'intoxications aiguës peuvent inclure des lésions cérébrales définitives : décortication, syndrome extrapyramidal ou cérébelleux, etc.
Certains auteurs rapportent que des concentrations de cyanures sanguins comprises entre 2,500 et 3,000 μg/L peuvent entrainer une intoxication grave avec coma.
Il est rapporté que l'absorption d'une dose totale de 50 à 100 mg de HCN et de 150 à 250 mg de cyanures de potassium peut entrainer la mort chez l’adulte ; la dose absorbée mortelle la plus faible était de 0,54 mg de cyanure d'hydrogène par kg. Dans la plupart des cas d'intoxication, une grande partie des cyanures ingérés reste dans le tractus gastro-intestinal (la dose ingérée de cyanures n’est donc pas le meilleur indicateur de létalité).
Le contact cutané avec des solutions de cyanures de sodium et de potassium peut entraîner des dermatites d’irritation. Aucune donnée sur le potentiel sensibilisant des cyanures de sodium et de potassium n'est disponible. Une exposition aux cyanures de sodium et potassium sous forme de vapeur, d’aérosol ou de poussières est susceptible d’entrainer une irritation oculaire.
Toxicité chronique [10, 25, 30]
Les données disponibles, bien que limitées et anciennes, rapportent des symptômes non spécifiques à type de céphalées, asthénie, troubles de l’olfaction, vomissements, dyspnée ; une baisse des taux de vitamine B12 et de folates a également été rapportée.
Une étude ancienne décrit une augmentation de taille de la thyroïde (sans lien formel avec les niveaux d’exposition ou les taux d’hormones thyroïdiennes) alors que d’autres auteurs ont montré une relation significative entre les taux d’hormones thyroïdiennes (T3, T4, thyréostimuline - TSH) et l’exposition professionnelle aux cyanures. L’exposition des travailleurs était appréciée sur les niveaux de thiocyanates sanguins ou catégorisée qualitativement en fonction de l’activité professionnelle principale [25, 26]. Le rôle des thiocyanates est évoqué dans l’inhibition de la synthèse des hormones thyroïdiennes et l'augmentation du taux de TSH [32].
Effets génotoxiques
Aucune donnée n’est disponible chez l’Homme à la date de publication de cette fiche toxicologique (2018).
Effets cancérogènes
Aucune donnée n’est disponible chez l’Homme à la date de publication de cette fiche toxicologique (2018).
Effets sur la reproduction
Aucune donnée n’est disponible chez l’Homme à la date de publication de cette fiche toxicologique (2018).
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Interférences métaboliques
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Cohérence des réponses biologiques chez l'homme et l'animal